Soja et santé : réel danger ou fausse alerte ?

Star des régimes végétariens et véganes, le soja est souvent présenté comme un aliment sain, riche en protéines et pauvre en graisses. Pourtant, il fait aujourd’hui l’objet de recommandations sanitaires de plus en plus strictes. En cause : les isoflavones, des composés végétaux proches des hormones féminines, qui pourraient perturber l’équilibre hormonal. Alors, faut-il s’inquiéter ? Qui est concerné ? Et que disent réellement les études scientifiques ? Cet article fait le point sur les effets du soja, ses risques potentiels et les mesures de précaution à adopter.

Pourquoi le soja est-il aujourd’hui pointé du doigt ?

Le principal sujet de préoccupation autour du soja concerne les isoflavones, aussi appelées phytoœstrogènes. Ces molécules naturellement présentes dans les graines de soja ont une structure chimique proche des œstrogènes humains. Elles sont donc capables d’interagir avec le système endocrinien, ce qui peut entraîner des effets biologiques, en particulier sur la fertilité et le développement sexuel. C’est pourquoi l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a récemment recommandé de ne plus servir d’aliments à base de soja dans la restauration collective, tous âges confondus. Cette décision s’appuie sur des études montrant un risque réel de dépassement des seuils toxicologiques fixés pour ces composés.

Qui est concerné ? Zoom sur les publics à risque

Les recommandations visent en priorité les femmes enceintes ou en âge de procréer, ainsi que les jeunes enfants et les préadolescents. Ce sont des périodes de la vie où l’organisme est particulièrement sensible aux perturbations hormonales. L’Anses a fixé deux valeurs toxicologiques de référence : 0,02 mg/kg/j pour la population générale, et 0,01 mg/kg/j pour les femmes enceintes et les enfants. Or, selon les dernières données, ces seuils sont régulièrement dépassés : 76 % des enfants de 3 à 5 ans, 53 % des filles de 11 à 17 ans et 47 % des adultes de 18 à 50 ans consommateurs de produits au soja dépassent ces limites. D’où l’appel à la prudence.

Une exposition variable selon les produits à base de soja

Tous les aliments au soja ne se valent pas. Les concentrations en isoflavones varient fortement d’un produit à l’autre. Selon l’Anses, il y a par exemple 100 fois plus d’isoflavones dans certains biscuits apéritifs au soja que dans de la sauce soja. Même au sein d’une même catégorie (desserts au soja, yaourts, steaks végétaux…), les teneurs peuvent aller du simple au double. Cette variabilité s’explique par plusieurs facteurs : la variété de soja utilisée, le mode de culture, le degré de maturité de la graine, mais aussi les procédés de transformation industrielle. Les produits fermentés traditionnels (comme le tempeh ou le miso) présentent souvent des taux plus faibles en phytoœstrogènes, en raison de techniques comme le trempage ou le lavage, encore peu utilisées dans l’industrie agroalimentaire occidentale.

Faut-il arrêter le soja ? Ce que disent les études scientifiques

Contrairement aux craintes exprimées par les autorités sanitaires, de nombreuses études scientifiques récentes nuancent fortement les risques associés au soja. Une méta-analyse publiée en 2024 montre qu’une consommation élevée de tofu, de lait de soja ou de produits à base de soja est globalement associée à une réduction du risque de cancer (par exemple, –12 % pour le tofu, –28 % pour le lait de soja). Aucune association significative n’a été trouvée entre la consommation de miso, de pâte de soja ou de natto et un risque accru de cancer.

Une autre étude, fondée sur 17 essais cliniques randomisés, s’est penchée sur les effets du soja sur les biomarqueurs du cancer du sein : Ki-67 (prolifération cellulaire), estradiol (hormone), SHBG (protéine de liaison hormonale). Résultat : aucun effet prolifératif significatif n’a été observé. Le soja semble même avoir un léger effet protecteur, en réduisant l’estradiol chez les femmes préménopausées et en augmentant la SHBG, ce qui limite la quantité d’œstrogènes actifs. Les auteurs concluent que le soja ne présente pas de danger clair, même chez les femmes à risque ou ayant des antécédents familiaux de cancer du sein.

Les recommandations actuelles : modération et diversification

Pour l’Anses, il ne s’agit pas d’interdire le soja, mais de réduire les expositions excessives et de favoriser une diversification des sources de protéines végétales. Lentilles, haricots rouges, pois chiches, fèves… Ces alternatives contiennent beaucoup moins d’isoflavones tout en étant excellentes d’un point de vue nutritionnel. L’agence recommande aussi aux industriels de revoir leurs procédés afin de limiter la concentration d’isoflavones dans les produits finis. Le message est donc clair : pas de panique, mais de la prudence, surtout chez les publics sensibles.

En conclusion, le soja reste un aliment intéressant, notamment pour ses protéines végétales, mais il doit être consommé avec modération et dans le cadre d’une alimentation variée. Les risques sont réels pour certains groupes, mais largement évitables avec un minimum de vigilance. Et contrairement aux idées reçues, la science ne considère pas le soja comme un danger systémique – au contraire, il pourrait même apporter quelques bénéfices, à condition de ne pas en abuser.